Pologne – La Pologne n’est pas épargnée par l’évolution quelque peu totalitaire du libéralisme occidental, y compris – ou peut-être même notamment – à l’université. Est-ce en raison du fait que l’université polonaise est, avec la justice, un de ces secteurs qui n’avait jamais vraiment été réformé après la transition de la dictature communiste à la démocratie parlementaire et à l’économie de marché en 1989-90 ? Quoi qu’il en soit, si les vues conservatrices dominent dans l’ensemble de la société polonaise, les vues progressistes, de gauche, voire carrément néo-marxistes, tiennent le haut du pavé à l’université et il n’est plus rare de voir des enseignants sanctionnés pour avoir dit des choses qui auraient paru complètement normales il y a seulement une ou deux décennies.
C’est ainsi, par exemple, qu’une sociologue de l’Université de Silésie, à Katowice, a fait l’objet d’un blâme au terme d’une longue procédure disciplinaire consécutive à une plainte déposée par des étudiants après un cours consacré à la famille telle que perçue par la religion chrétienne. Ce cours était donné dans le cadre d’un enseignement sur les « liens intergénérationnels dans les familles du monde ». Ce qui avait scandalisé quelques étudiants, c’est le fait que leur professeur ait, pendant le cours, appelé « enfant » l’être humain en phase prénatale et qu’elle ait évoqué la famille comme cellule de base naturelle d’une société et comme fondée sur l’union d’un homme et d’une femme. Cela correspond pourtant à la définition du mariage dans la constitution polonaise.
Quelques étudiants d’extrême gauche ont donc estimé que le professeur Ewa Budzyńska avait voulu imposer à ses étudiants « une idéologie anti-choix, des opinions homophobes, de l’antisémitisme, de la discrimination confessionnelle, des informations non conformes aux connaissances scientifiques actuelles, en faisant la promotion de vues catholiques radicales ». Le « médiateur disciplinaire » de l’Université de Silésie a entamé une procédure contre l’enseignante qui a abouti, comme indiqué plus haut, à un blâme confirmé par la commission de discipline de l’établissement en mars dernier.
Même en Pologne, le cas du professeur Budzyńska n’est malheureusement pas un cas isolé, et les sanctions pour délit d’opinion visent systématiquement les universitaires qui expriment des points de vue ou simplement des vérités que l’on classe aujourd’hui de conservatrices, c’est-à-dire « réactionnaires » pour les militants de gauche. Le ministre des Sciences et de l’Enseignement supérieur du précédent gouvernement Morawiecki, Jarosław Gowin, avait assuré être si attaché à la liberté d’expression qu’il serait prêt à se sacrifier pour défendre l’enseignement de la théorie du genre à l’université même s’il n’adhère pas à lui-même cette théorie. En revanche, il n’a jamais rien fait pour défendre l’enseignement des théories classiques plus proches de la réalité, y compris pour défendre la sociologue Ewa Budzyńska.
Courte vidéo de l’Université de Silésie intitulée « L’université est un bon endroit pour chacun » et vantant son ouverture à la diversité, y compris en matière d’orientation sexuelle, mais apparemment pas en matière d’opinions lorsque celles-ci ne sont pas conformes à l’idéologie du genre
À la fin de l’année dernière, l’actuel ministre de l’Éducation et des Sciences, Przemysław Czarnek, dont le portefeuille couvre aussi l’enseignement supérieur, avait donc annoncé qu’il y aurait une loi pour défendre la liberté d’expression à l’université. Aujourd’hui, ce projet de loi vient d’entrer en phase de consultations sociales, ce qui est une étape obligatoire. Il s’agit en fait d’une série d’amendements à la loi actuelle sur l’enseignement supérieur. Le projet prévoit d’interdire toute procédure disciplinaire motivée par l’expression de convictions religieuses ou philosophiques ou d’une certaine vision du monde.
C’est le président de l’université (le « rektor ») qui aura la responsabilité de faire respecter la liberté d’expression mais aussi la liberté d’enseignement et la liberté scientifique. Si une procédure disciplinaire est demandée contre un enseignant, celui-ci devra en être informé et il pourra exercer un recours devant la commission disciplinaire du ministère de l’Éducation et des sciences qui pourra annuler la procédure lorsque celle-ci est motivée par l’expression de convictions religieuses, philosophiques ou correspondant à une certaine vision du monde.
Certains critiques estiment qu’il s’agit là d’une ingérence excessive dans l’autonomie des universités et que cela pourrait les obliger à tolérer, par exemple, la négation de la Shoah. La loi polonaise prévoit toutefois des procédures pénales dans ce genre de cas. Sans surprise, l’actuel Défenseur des droits, Adam Bodnar, connu pour son penchant à gauche et son soutien aux revendications du lobby LGBT, est très critique du projet de loi du ministre de l’Éducation. Pour Bodnar, les solutions portées par ce projet sont inutiles pour assurer la liberté artistique et la liberté des recherches scientifiques et portent atteinte à l’autonomie des universités.
« Avez-vous déjà entendu parler d’une procédure disciplinaire motivée par l’expression de points de vue d’extrême gauche ou libérales-libertaires ? », demandait le ministre Czarnek dans un entretien avec l’hebdomadaire Do Rzeczy du 24 mai. « Je n’ai entendu parler d’aucune situation de ce type dans un établissement supérieur polonais. Cela découle d’une raison simple, il s’agit d’une tendance de la pensée libérale-libertaire et gauchiste. Souvent, la pensée libérale-libertaire n’a rien à voir avec la liberté. Elle s’appuie uniquement sur des méthodes totalitaires. Comme elle n’est pas en mesure de l’emporter dans les discussions au moyen d’arguments fondés sur les faits, elle emploie la contrainte. Cela se manifeste dans des pétitions signées par des centaines de personnes sur Internet qui sont ensuite envoyées aux présidents d’université sous forme de demande de procédure disciplinaire simplement parce qu’un universitaire a exprimé une opinion conservatrice dans la sphère publique. (…) Sous la pression, les présidents d’université entament une procédure pour s’éviter d’être accusés, s’ils ne le font pas, d’agir eux aussi contre la ‘liberté’ libérale-libertaire. »
Et c’est d’ailleurs bien pour cela que le Défenseur des droits Adam Bodnar, qui avait été nommé à son poste en 2015 par une Plateforme civique (PO) sur le départ, n’intervient généralement pas pour défendre la liberté d’expression des universitaires. Sauf quand le ministre de l’Éducation promet de changer la loi pour mieux la défendre.