Pologne – Le regretté Coluche définissait les technocrates de la manière suivante : un technocrate, c’est quelqu’un à qui vous confiez le Sahara et six mois après il faut qu’il importe du sable. Cette définition s’applique aujourd’hui à merveille à la situation que connaît la Pologne, pays où se trouvent les plus grosses réserves de charbon d’Europe. Car sous la pression des technocrates bruxellois, la Pologne en était arrivé non seulement à ne presque plus exporter de charbon, mais surtout à être obligée d’en importer de grosses quantités, notamment de Russie.
Aujourd’hui, avec les sanctions et surtout la décision prise par le gouvernement Morawiecki d’interdire les importations de charbon russe dès le mois de mai (au lieu du 1er août comme dans le reste de l’UE) sans s’y être vraiment préparé, les prix du charbon ont presque triplé sur les bords de la Vistule alors que 4,3 millions de ménages l’utilisent encore pour se chauffer, dont 3,8 millions qui n’ont pas d’autre source de chaleur. Ces ménages brûlent environ 7,4 millions de tonne de houille par an selon le ministère du Climat et de l’Environnement. Si bien que le parlement vient d’adopter un projet de loi avancé par le gouvernement afin de subventionner l’achat du charbon de chauffage pour les particuliers par un système de paiements complémentaires aux revendeurs qui céderont cette matière première au tarif qui était en vigueur l’année dernière, soit au maximum à 996,60 zlotys TTC (environ 215 €) la tonne. L’État – et donc les contribuables qui payent déjà pour leur propre moyen de chauffage de type gaz, fioul, bois, énergie électrique avec ou sans pompe à chaleur, … – verseront au revendeur la différence entre le prix du marché, qui oscillait ces derniers temps entre 2000 et 3000 zlotys, et ce prix de 996 zlotys. Seule condition : les bénéficiaires devront avoir déclaré leur source de chauffage, comme tous les Polonais devaient le faire sous peine d’amende au plus tard avant la fin du mois de juin 2022, et ils pourront acquérir au maximum trois tonnes de charbon subventionné.
Car pour compenser l’interdiction d’importer du charbon de Russie, la Pologne devra faire venir cette année plus de dix millions de tonnes en provenance d’autres pays.
Le 2 juin, la ministre du Climat et de l’Environnement, Anna Moskwa (en français Anne Moscou, ça ne s’invente pas), assurait dans un tweet que le manque créé par l’arrêt des importations de Russie était déjà couvert par les bateaux en route vers la Pologne, avec du charbon commandé en Colombie, aux États-Unis, en Australie, en Afrique du Sud et en Indonésie.
« Bien que nous ayons beaucoup de charbon, nous ne pouvons pas le fournir à nos citoyens ou le vendre de manière rentable lorsqu’il y a une forte demande, mais nous l’importons, ce qui est un scandale », s’est insurgé l’eurodéputé Patryk Jaki, du parti Pologne solidaire (Solidarna Polska), allié au PiS, dans un entretien avec le média Interia.
« Nous augmentons la production dans les mines de charbon en Pologne, mais cela ne suffit pas, car nous devons compenser en peu de temps l’embargo sur les importations de charbon russe. Ce sont des millions de tonnes que nous devons importer de l’étranger. Des commandes ont déjà été passées avec la Colombie et d’autres pays afin que le charbon soit disponible pour l’hiver et l’automne », a expliqué de son côté le Premier ministre Mateusz Morawiecki. Mais en réalité, la production de charbon n’a pas vraiment augmenté, car il faut du temps pour inverser la tendance qui était de ne pas ouvrir de nouvelles mines et d’arrêter progressivement l’exploitation des mines existantes, qui devenaient moins rentables à mesure qu’il fallait creuser plus profond pour y trouver du charbon. Ainsi, après un mois record en mars, avec 5,5 millions de tonnes de houille extraite – un chiffre qui n’avait plus été atteint depuis trois ans et demi – en avril les mines polonaises n’en ont produit que 4,7 millions de tonnes, à peine plus qu’en avril 2021. Mais en avril 2021, il y avait 5,5 millions de tonnes de charbon non vendu en réserve, contre 1,3 million un an plus tard. La baisse entre mars et avril de cette année est au moins en partie due à des catastrophes minières dans deux mines de Silésie, où 26 mineurs en tout ont trouvé la mort. La plus grosse compagnie minière polonaise, Polska Grupa Górnicza (PGG), a extrait environ 23 millions de tonnes de charbon l’année dernière et prévoit d’en extraire à peine plus cette année. L’ouverture d’une nouvelle taille pouvant apporter environ 800 000 tonnes par an prend en effet un an et demi et exige un investissement d’environ 200 millions de zlotys (environ 45 millions d’euros), selon Tomasz Rogala, le PDG de PGG.
L’eurodéputé Patryk Jaki insiste sur le fait que c’est l’Union européenne qui avait contraint la Pologne « à ne pas créer de nouvelles mines » : « Par conséquent, nous devons exploiter les anciennes mines, creuser de plus en plus profondément, ce qui rend le charbon plus cher. Des taxes énormes ont également été imposées sur cette matière première, qui représentent la moitié de sa valeur actuelle. Le résultat, c’est que bien que nous ayons beaucoup de charbon, nous ne pouvons pas le fournir à nos citoyens ou le vendre à profit lorsqu’il est très demandé, mais nous l’importons, ce qui est un scandale ».
Outre le charbon de chauffage pour des millions de Polonais, la production d’électricité en Pologne provient encore à 70 % du charbon (houille et lignite). Avec les quotas d’émissions de CO2 qui viennent se greffer sur les cours de cette matière première, les Polonais ont eu à encaisser de très fortes hausses du prix de l’électricité en début d’année et ce prix pourrait encore doubler ou tripler d’ici à l’année prochaine, selon les experts.
Justement à cause de l’envolée des prix du charbon. Remplacer son chauffage au charbon comme vont de toute façon devoir le faire rapidement les propriétaires des installations les plus polluantes, oui, mais pour quel type de chauffage ? Avec les envolées des prix de l’électricité, mais aussi du fioul et du gaz, et une législation devenue moins avantageuse cette année pour les propriétaires de panneaux solaires, il est devenu très difficile en Pologne de trouver une alternative plus rentable et carrément impossible de calculer son retour sur investissement où même de savoir si retour sur investissement il y aura.
Pour le leader et député nationaliste Krzysztof Bosak, « C’est le gouvernement qui a fait ça. D’abord, il a fermé des mines et a dit qu’il n’y avait aucune menace pour nous, puis il a dit qu’il introduirait un embargo et que la hausse des prix ne nous menacerait pas, et soudain, il n’y a plus de charbon en stock et les prix s’envolent. (…) Le Premier ministre n’avait donc pas prévu cela ? Y a-t-il eu une analyse quelconque de faite avant que le Premier ministre n’introduise un embargo sur les importations de charbon ? Avions-nous une idée d’où nous allions importer le charbon ? Les entreprises de culture en serres doivent faire faillite parce que le prix de la poussière de charbon a quadruplé ? »
À l’autre bout de l’échiquier politique, le député Adrian Zandberg, du parti d’extrême gauche Razem (Ensemble), refuse cependant l’idée de réinvestir dans le charbon : « Chez Razem, nous voulons nous baser sur le nucléaire, le solaire, l’éolien et le biométhane obtenu de manière durable. (…) À long terme, si nous ne voulons pas manquer d’électricité dans nos prises, il est temps de rendre la Pologne indépendante des combustibles fossiles. Sans cela, chaque turbulence du marché mettra la moitié du pays à genoux. »
Pour Borys Budka, vice-président du parti libéral Plateforme civique (PO), « Malheureusement, pendant sept ans, le gouvernement polonais a rendu l’économie polonaise dépendante du charbon russe et aujourd’hui, suite à l’introduction de sanctions sur ce charbon, les ménages polonais se retrouvent sans défense. Dans le même temps, les sources d’énergie renouvelables ont été complètement détruites en sept ans : les éoliennes ont été rendues non rentables, et une chose similaire s’est produite récemment avec le photovoltaïque. »
Mais pour le gouvernement polonais, la faute de cette situation absurde incombe avant tout à l’Union européenne. En effet, dans la stratégie Fit for 55 de la Commission européenne, il n’y a pas de place pour le charbon, expliquent des membres du gouvernement.
Il y a quelques semaines, le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, qui est le leader du parti Pologne solidaire allié du PiS au sein de la coalition Droite unie, a annoncé qu’il allait être débattu en conseil des ministres des questions d’énergie et de la nomination éventuelle d’un ministre délégué aux gros investissements dans le charbon. Pour le ministre, la crise qui affecte aujourd’hui tous les pays européens est le résultat à la fois des agissements de la Russie et de « la politique climatique et énergétique insensée de l’UE ».
Selon les données Eurostat pour 2019, les 28 pays de l’UE – avant la sortie du Royaume-Uni, donc – ont extrait 67,2 millions de tonnes de houille dont 61,6 millions de tonnes rien qu’en Pologne (contre 147,5 millions de tonnes extraites en Pologne en 1990). La consommation de houille en Pologne était en revanche de 68,8 millions de tonnes en 2019. Le deuxième pays de l’UE qui en consomme le plus est l’Allemagne avec 38,6 millions de tonnes. C’est au début des années 2010 que la consommation polonaise de houille a commencé dépasser le niveau de la production. En ce qui concerne la lignite, comme celle extraite à la mine de Turów que la CJUE avait prétendu fermer à titre conservatoire (ce qui vaut à la Pologne de se voir prélever aujourd’hui des amendes sur les fonds européens qui lui sont dus), la Pologne, avec 50,5 millions de tonnes consommées, est le deuxième consommateur de l’UE derrière l’Allemagne (131,5 millions de tonnes). Côté production, la Pologne en a extrait 50,3 millions de tonnes en 2019 contre 131,3 millions de tonnes pour l’Allemagne.