Pologne/Ukraine – Le dimanche 22 mai, Andrzej Duda était le premier dirigeant étranger à s’exprimer directement devant le Conseil suprême, qui est le parlement monocaméral en Ukraine, depuis le début de l’invasion russe. C’était le deuxième voyage du président polonais à Kiev en cette période de guerre russo-ukrainienne. Il s’était en effet rendu dans la capitale ukrainienne le 13 février avec ses homologues des trois pays baltes.
Pendant son discours devant les députés ukrainiens, Andrzej Duda a proposé un nouveau traité d’amitié qui redéfinirait les relations entre les deux pays. Expliquant l’idée aux journalistes le lendemain, le chef du bureau de la politique internationale de la chancellerie du président, Jakub Kumoch, a expliqué qu’il s’agirait d’un traité sur le modèle du traité d’amitié franco-allemand de 1963. Pour Kumoch, il doit en être avec la Pologne et l’Ukraine comme avec l’Allemagne et la France qui sont « liées à tant de niveaux que ces liens sont impossibles à rompre ».
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lui aussi fait un discours devant le parlement à l’occasion de la visite de son homologue polonais, dans lequel il a remercié la Diète polonaise pour la loi sur l’aide aux citoyens ukrainiens récemment votée qui accorde à ces derniers « quasiment les mêmes droits et possibilités que celles dont jouissent les citoyens polonais : séjour légal, emploi, formation, soins médicaux et assurances sociales », a énuméré Zelensky lors de son intervention. Pour le président ukrainien, il s’agissait là d’ « un grand pas » qui « ne restera pas unilatéral », car « dans un avenir proche, le Conseil suprême d’Ukraine présentera un projet de loi similaire » en faveur des citoyens polonais résidant en Ukraine.
La visite d’Andrzej Duda à Kiev a donné lieu à des discussions entre les deux présidents ainsi qu’entre les délégations des deux pays et elle a été l’occasion d’annoncer un accord bilatéral pour simplifier les contrôles frontaliers entre les deux pays, avec notamment des contrôles conjoints polono-ukrainiens pour accélérer le passage de la frontière et réduire les risques de corruption. La question est particulièrement pressante en ce moment en raison du blocus des ports ukrainiens en mer Noire par la marine russe alors que plusieurs pays d’Afrique et du Moyen-Orient dépendent très fortement des exportations ukrainiennes de céréales. Une partie de ces exportations passe donc désormais par les ports roumains de la mer Noire, et une autre partie par les ports polonais et baltes sur la mer Baltique, avec un transfert par le réseau ferroviaire et routier polonais.
La Pologne est en outre le deuxième plus gros fournisseur d’armes à l’Ukraine depuis le début de la guerre, contribuant à hauteur d’environ 20 % du total, c’est le principal pays de transit pour les fournitures d’armes des pays occidentaux, et c’est en même temps un des pays de l’UE qui pousse le plus aux sanctions contre la Russie. C’est aussi le pays qui héberge le plus grand nombre de réfugiés ukrainiens.
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Voir à ce sujet :
« L’ampleur et les raisons de l’engagement de la Pologne en faveur de l’Ukraine »
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Lors de son discours devant la Rada, le Conseil suprême d’Ukraine, Andrzej Duda a martelé que l’Ukraine doit seule décider de son avenir et que ce n’est pas aux dirigeants d’Europe occidentale de dicter à ce pays des abandons de territoire dans le but d’obtenir la paix avec la Russie. « Des voix inquiétantes se sont élevées pour dire que l’Ukraine devait céder aux exigences de Poutine », a dit le président polonais, alors que « seule l’Ukraine a le droit de décider de son avenir ». « Rien sur vous sans vous », a-t-il rassuré les députés de la Rada. Car pour le président polonais, « si l’Ukraine est sacrifiée pour (…) des raisons économiques ou des ambitions politiques – ne serait-ce que pour un centimètre carré de son territoire – ce sera un coup dur non seulement pour le peuple ukrainien mais aussi pour l’ensemble du monde occidental. » La Pologne se souvient de Yalta et craint que l’Ukraine ne subisse le même sort qu’elle-même en 1945.
Pour Duda, cette guerre est cependant déjà une défaite de la Russie qui n’a, selon lui, atteint quasiment aucun de ses objectifs en trois mois de combats. Cependant, a-t-il prévenu, « la Russie est très forte, très peuplée et cette guerre continuera à moins que la communauté internationale ne contribue à y mettre fin ».
« Je demande donc au monde entier de continuer à envoyer une aide militaire à l’Ukraine. C’est absolument nécessaire, et les défenseurs de l’Ukraine en ont besoin pour pouvoir se battre. Ils ont un enthousiasme énorme et une détermination exceptionnelle, mais ils ont besoin d’équipements modernes, ils ont besoin d’avoir avec quoi se battre. C’est extrêmement important aujourd’hui, face à l’énorme avantage de l’ennemi, car je le répète une fois de plus : cet avantage est toujours énorme », a clamé le président polonais.
Et il a redit la volonté de la Pologne de militer pour une adhésion rapide de l’Ukraine à l’Union européenne et pour « qu’une Ukraine libre, indépendante et souveraine survive, qu’elle soit sur la carte, qu’elle soit notre voisine et que nous puissions établir les meilleures relations possibles entre nos pays et nos peuples ».
Le président Zelensky a de son côté noté que la Russie avait sans le vouloir conduit l’Ukraine et la Pologne à oublier les disputes autour de leur passé conflictuel.
Si la situation n’était aussi tragique, on s’amuserait de l’interprétation des déclarations faites à Kiev le 22 mai par la propagande russe, telle que relayée sur son compte Twitter par une personne en vue du Conseil russe des affaires internationales : il paraîtrait que les citoyens polonais pourraient bientôt se faire élire ou nommer en Ukraine à tous les postes de direction politiques et économiques et même de juges et juges de la cour constitutionnelle et que les annonces de Zelensky signeraient la fin de l’Ukraine et un nouveau commencement pour la Pologne. C’est en effet un vieux refrain de la propagande russe, depuis au moins 2014, que de dire que la Pologne souhaiterait récupérer l’ouest de l’Ukraine, alors que c’est un non-sujet en Pologne, pays très attaché – contrairement à la Russie – à l’intangibilité des frontières. En psychologie, on parlerait d’un phénomène de projection.