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Le coût de la politique polonaise de l’amour

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 4 minutes

Les dirigeants polonais n’avaient pas vu venir le conflit avec Kiev et ne s’attendaient pas à entendre leurs homologues ukrainiens comparer le comportement de leur pays à celui de la Russie.

L’éditorial du numéro du 7 août 2023 de l’hebdomadaire polonais Do Rzeczy, par Paweł Lisicki. Traduit et publié en anglais sur le site Sovereignty.pl. Pour voir la version en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

Les sentiments enfantins se caractérisent par leur volatilité et leurs extrêmes. Je ne peux m’empêcher de dire que c’est exactement le comportement que j’observe en ce qui concerne l’attitude des politiciens polonais, ou du moins de la plupart d’entre eux, à l’égard de Kiev. Sans surprise, ils sont nombreux à ne pas pouvoir se remettre de ce à quoi ils ne pouvaient pas voir venir, les pauvres. Ils ne pouvaient pas parce qu’ils avaient tellement cru à leur propre propagande et s’étaient tellement attachés à l’amour d’un voisin envahi par la Russie. Ils ne savent donc pas quoi faire quand ils entendent les médias annoncer que le président Volodymyr Zelenski en aurait assez de travailler avec le PiS et qu’il parierait sur l’opposition polonaise. Ils ne savent pas comment expliquer les accusations de plus en plus dures de Kiev selon lesquelles la Pologne manipule, trahit, pratique le populisme, etc. Que répondre aux propos du Premier ministre ukrainien, qui a comparé le comportement de la Pologne sur les importations de céréales en provenance d’Ukraine à celui de la Russie ?

Rappelons que, dès le début de l’invasion russe, la Pologne a adopté une position claire et radicale. Tout d’abord, comme l’ont maintes fois répété les membres du gouvernement, l’aide à l’Ukraine devait être inconditionnelle. Aucune négociation et aucune transaction. Aucune préoccupation pour les intérêts polonais.

Deuxièmement, la Pologne faisait office de principal défenseur des intérêts de Kiev dans le monde. La Pologne a été le plus ardent défenseur de l’admission de l’Ukraine dans l’OTAN et de son intégration dans l’Union européenne au plus vite. Cette attitude a été symbolisée au sommet de l’OTAN à Vilnius par l’annonce du chef de l’État polonais – le président Andrzej Duda – du fait que la Pologne n’y avait pas d’intérêts propres et qu’elle n’avait l’intention que de se faire l’avocate des Ukrainiens.

Troisièmement, les hommes politiques polonais – premier ministre en tête – ont proclamé qu’il existait une dépendance étroite et directe entre la souveraineté de la Pologne et celle de l’Ukraine. En juin 2022, lors d’une réunion avec les ambassadeurs polonais, le Premier ministre Mateusz Morawiecki a déclaré que « la souveraineté de l’Ukraine est une condition de la souveraineté de la Pologne ». De telles déclarations n’ont été entendues nulle part ailleurs. Tout affaiblissement de la souveraineté ukrainienne devait impliquer un affaiblissement de la souveraineté polonaise.

Quatrièmement, la Pologne a été le premier et principal partisan de l’imposition de paquets de sanctions successifs à l’agresseur, c’est-à-dire à la Russie. Varsovie a toujours été à l’avant-garde et a toujours été le critique le plus bruyant de tous ceux qui n’étaient pas assez clairement préparés à punir la Russie. Le gouvernement polonais rejetait les explications des autres, agissant toujours comme Caton. Il a condamné les hésitations des autres pays sans fournir lui-même d’analyse des coûts d’une telle politique et sans informer son public des éventuels effets négatifs sur l’économie polonaise. Il ne l’a pas fait parce qu’une seule chose comptait : affaiblir la Russie. De ce point de vue, toute tentative en vue de soulever des doutes de manière rationnelle équivalait presque à une trahison.

Cinquièmement, la Pologne a fourni dès le départ une aide financière, militaire et humanitaire considérable à l’Ukraine, plus qu’aucun autre pays de taille et de ressources comparables. C’est particulièrement vrai pour les prestations sociales que le gouvernement du PiS a si généreusement accordées aux Ukrainiens.

Sixièmement, la quasi-totalité des médias polonais, aussi bien gouvernementaux que d’opposition, ont reproduit sans esprit critique la propagande de guerre selon laquelle les forces ukrainiennes remportaient des succès spectaculaires, l’armée russe s’effondrait et porter un coup fatal à Moscou allait être du gâteau. Dans la foulée, les hommes politiques polonais se sont vantés de l’aide militaire qu’ils apportaient à Kiev. Le transfert d’une telle quantité de matériel ne représente-t-il pourtant pas un affaiblissement de la Pologne en cas d’extension du conflit ? L’ostentation avec laquelle les armes ont été remises n’a-t-elle pas contribué à augmenter le risque de vengeance de la part de Moscou ?

Septièmement, dans le cadre de cette politique d’amour inconditionnel et total pour Kiev, le gouvernement polonais a pendant très longtemps ignoré les demandes pourtant fondées de commémoration des victimes polonaises du génocide en Volhynie, et il n’a pas pris au sérieux la tendance de plus en plus dangereuse des Ukrainiens à vénérer des criminels.

Huitièmement, certains politiciens et chroniqueurs polonais ont vu dans l’agression russe une occasion de renforcer la puissance de l’État polonais. Selon cette vision, Washington allait abandonner l’Allemagne et miser sur la puissance nouvelle de la Pologne. Il n’est pas surprenant dans ce contexte que beaucoup se soient mis à rêver d’une confédération polono-ukrainienne, sorte d’hybride étatique un peu bizarre. Et cela avec le plus grand sérieux !

Et donc forcément, le changement d’attitude actuel de Kiev et son virage apparent vers Berlin doit être vécu par beaucoup comme un choc. Certains vont réagir à ces informations défavorables avec agressivité et rage, d’autres vont changer discrètement de front, en espérant que leurs analyses et leur expertise antérieures seront bientôt oubliées. S’il est vrai que le président Zelensky parie sur la victoire de l’opposition anti-PiS, que vont faire les propagandistes du gouvernement ? Il s’agit véritablement d’un défi de l’ampleur de celui d’Hamlet. Mais le problème le plus important pour la Pologne est que les responsables de notre politique étrangère n’ont tout simplement pas prévu une telle tournure des événements et le conflit potentiel entre Varsovie et Kiev. Ces erreurs risquent de nous coûter très cher.

Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl

Traduit du polonais par le Visegrád Post