Par Modeste Schwartz.
Hongrie – J’ai expliqué dans un article précédent pourquoi le maintien au pouvoir du FIDESZ de Viktor Orbán constituait une condition de survie (pour l’instant remplie) pour le Groupe de Visegrád. L’inverse n’est pas moins vraie – et ce, pour des raisons en partie relativement bien connues (puisque d’un caractère assez général), en partie plus obscures (car plus idiosyncratiques, et n’apparaissant qu’au prix d’une connaissance plus détaillée des réalités régionales).
Dans la première catégorie, il faut bien sûr citer le principe selon lequel « l’union fait la force », notamment au sein des institutions européennes : motif bien connu, étant donné qu’il appartient au répertoire officiel de la communication politique du FIDESZ, qui ne manque aucune occasion de rappeler comment – par le mécanisme du véto, qui vexe tant Paris et Berlin – l’alliance polono-hongroise se rend capable de neutraliser durablement le chantage à l’article 7, que le centre impérial voudrait utiliser pour limiter la souveraineté politique de ses colonies économiques de facto d’Europe centrale. J’ai par ailleurs, dans l’article cité ci-dessus, aussi rappelé pour quelles raisons, en dépit de la position seconde qu’elle occupe derrière la Pologne d’un point de vue démographique et économique, le V4 est inconcevable sans la Hongrie, qui lui fournit son centre de gravité géopolitique (par sa politique d’ouverture à l’Est), socio-économique, culturel et confessionnel.
Néanmoins, on pourrait rétorquer que personne n’est irremplaçable, et qu’en matière d’alliance au sein des institutions communautaires, toute lacune du dispositif (par exemple en cas de défection de la très versatile Slovaquie, ou d’une République tchèque dont le tropisme socialiste jure un peu avec l’apparent libéralisme économique de mise à Varsovie et Budapest) pourrait être compensée par de nouvelles recrues (on parle, à ce propos, depuis un certain temps de l’Autriche, et depuis peu aussi de l’Italie). C’est là un discours assez prisé dans divers milieux néo-conservateurs d’Europe occidentale, notamment en France (où il sert avant tout à crédibiliser à l’interne le mythe récurrent d’une « union des droites » françaises) ; il est généralement lié à une perception myope (volontairement ou non) du V4, tendant à le réduire à une révolte anti-immigrationniste destinée à se propager à l’Europe occidentale dans le cadre d’une utopique « réforme » droitière de l’UE. Cette vision des choses me paraît peu réaliste. À mon avis, le seul scénario dans lequel pourrait apparaître un axe politique alternatif transversal unissant divers États des deux côtés de l’ancien rideau de fer est celui d’un éclatement de l’UE, que le V4, pour l’instant, ne souhaite pas.
Mais surtout, même indépendamment des chances réelles d’un projet de réorientation politique de l’UE et/ou de généralisation des politiques souverainistes en matière migratoire ou autre, la Hongrie a, de mon point de vue, ses propres raisons de donner la priorité à l’intégration régionale de type V4 sur des politiques d’alliance idéologique « hors sol » par-delà la ligne symbolique (mais qui ne symbolise pas seulement des réalités passées) de l’ancien rideau de fer. Ces raisons tiennent pour une part à l’architecture générale du V4, pour une autre part à l’histoire et à la sociologie ethnico-politique spécifique du bassin des Carpates.
Là encore, dans la première catégorie, on trouve des motifs qu’il est relativement facile de déduire de la cartographie générale des État-nations d’Europe centrale : actuellement légèrement excentrée géographiquement au sein d’un V4 dont le centre de gravité géo-démographique et économique se trouve dans le sud de la Pologne, tandis que sa représentation symbolique internationale est avant tout assurée par le très charismatique Viktor Orbán, la Hongrie ne peut que souhaiter un élargissement au sud, susceptible de renforcer sa centralité au sein du dispositif – effet que pourrait certes aussi produire, dans une certaine mesure, une intégration de l’Autriche, au même titre que celle de la Serbie (deux pays de taille comparable, tendant tous deux vers une position neutre dans les rapports Est-Ouest).
En revanche, il existe aussi des éléments (moins lisibles « du ciel » que les raisons énumérées ci-dessus) qui font que, pour la Hongrie en particulier, à moyen et long terme, la non-intégration de sa périphérie méridionale (au premier chef : Serbie et Roumanie ; secondairement : les autres États post-yougoslaves et la Bulgarie) – ou pire : leur intégration à des structures tierces hostiles à Visegrád – représenterait un problème des plus graves.
Pour le comprendre, il convient de revenir sur l’histoire des stratégies adoptées par le FIDESZ pour la gestion du problème diplomatique majeur dont hérite tout pouvoir hongrois depuis 1918 : les conséquences ethnico-géographiques du Traité de Trianon.
Pendant les années 1990 et 2000, l’attitude de ce que l’historiographie hongroise finira probablement par appeler le « premier FIDESZ » (encore relativement libéral et europhile) a été caractérisée par un « irrédentisme non violent », consistant à accepter de facto (comme tous les gouvernements précédents depuis 1945) les conséquences territoriales du traité, mais à en refuser (en simplifiant un peu le trait) les « conséquences démographique » – c’est-à-dire en affirmant (à la différence de la « gauche » hongroise) que la nation hongroise est constituée d’une part par l’ensemble des citoyens de la « petite Hongrie » (République de Hongrie – y compris ses minorités ethniques : allemands, juifs, tsiganes, roumains…), d’autre part, par l’ensemble des magyarophones vivant sur les territoires dépendant jadis de la Couronne de Hongrie. À compter du retour au pouvoir du FIDESZ en 2010, cette doctrine s’est peu à peu traduite concrètement par l’octroi (désormais presque universellement réalisé) de la citoyenneté hongroise à tous les membres des minorités hongroises des États voisins (à savoir avant tout : Roumanie, Slovaquie, Serbie et Ukraine – par ordre d’importance démographique). Notons au passage une première contradiction de ce nouveau dispositif post-westphalien de l’identité hongroise : on peut être hongrois par droit du sol (en petite Hongrie, même lorsqu’on est ethniquement « souabe », tsigane, slovaque etc.), ou selon des critères ethniques (ancêtres citoyens du royaume avant 1918 + conservation de la langue). En soi, cette contradiction n’a rien de gênant pour la Hongrie actuelle : les minorités allogènes de petite Hongrie sont bien intégrées au paysage, et les rares roumains de Transylvanie, ukrainiens de Transcarpatie etc. qui ont choisi de tirer parti du « talon d’Achille » du système (à savoir : l’impossibilité de définir « scientifiquement » l’ethnicité dans les vestiges d’un empire multi-ethnique – l’Autriche-Hongrie), en « se faisant passer pour des hongrois », l’ont fait dans le but d’émigrer en Hongrie – cette dernière, en pleine crise démographique, étant justement d’autant plus demandeuse d’immigration régionale qu’elle a choisi de ne pas profiter de « l’aubaine » des flux migratoires extra-européens.
En revanche, une telle politique ne pouvait que créer des tensions potentielles avec les États voisins. En pratique, ce danger a jusqu’ici été conjuré par
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l’intégration à Visegrád de la Slovaquie, qui était le voisin le plus réticent à accepter cette politique de double nationalité et
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la neutralisation d’une éventuelle contre-offensive roumaine par le « deal » informel passé entre Viktor Orbán et Traian Băsescu au cours du second mandat de ce dernier : pendant que le FIDESZ distribuait des passeports hongrois en Transylvanie, la Roumanie inondait la République Moldave de passeports roumains (posant le même problème de fond) ; les deux leaders semblant à l’époque appartenir au même camp (étant l’un comme l’autre issus d’une « révolution orange »), l’agent transatlantique qu’est fondamentalement Traian Băsescu a jugé (ou s’est laissé expliquer) que l’objectif d’« intégration euro-atlantique » moldave (contre la Russie) primait sur les inquiétudes roumaines traditionnelles concernant le statut de la Transylvanie.
Ce dernier point aide d’ailleurs à comprendre pourquoi, au-delà d’une gestion FIDESZ au cas-par-cas extrêmement habile, cette politique de « nation trans-territoriale » ne semblait pas devoir poser de problèmes majeurs dans le contexte politico-idéologique de la fin des années 2000 et du début des années 2010 : avant le Brexit, la perspective de l’intégration européenne, encore vécue comme une fatalité irréversible, garantissait ipso facto le dépassement du cadre westphalien des nations territoriales tel que l’avait initialement imaginé Jean Bodin. Il s’agissait donc avant tout de se positionner le plus favorablement possible en vue de l’après-souveraineté.
Or entre temps, le progrès même de ladite intégration a fait affleurer à la surface des consciences collectives des divergences d’intérêt et de vision du monde entre les deux côtés de l’ancien rideau de fer, d’une telle ampleur que le divorce est désormais envisageable – au moment même où, par ailleurs, l’Europe du sud prend douloureusement conscience de la réalité de cette construction européenne comme étant celle d’un piège économique que lui a tendu l’Allemagne.
À nouveau contexte, nouveau discours : à partir, notamment, du second mandat de la série actuelle (2014-18), le FIDESZ, mis en joue – comme la Pologne du PiS – par l’oligopole médiatique occidentale, adopte vis-à-vis de Bruxelles un discours « souverainiste soft » qui se veut une critique constructive, mais ferme, de la construction européenne d’inspiration libérale-libertaire. D’un point de vue électoral en Hongrie, ce choix politique, combiné au choc psychologique de la crise migratoire, a eu le succès qu’on sait en avril dernier.
Du point de vue des rapports de la Hongrie avec ses voisins, cependant, ce choix a aussi eu de lourdes conséquences : jadis principalement axée sur des objectifs (plus ou moins réalistes…) d’autonomie territoriale dans le cadre de négociations dont le principal acteur de surface, côté hongrois, était, dans chaque pays, le parti (généralement unique) de la minorité hongroise, et idéologiquement adossée au discours de « tolérance » intégré à l’utopie européenne, la politique régionale de la Hongrie devient assez soudainement une politique d’État à État, fondée sur un donnant-donnant d’inspiration westphalienne, et qui soit court-circuite les partis hongrois locaux, soit les transforme en courroies de transmission locales du FIDESZ (exposées, en tant que telles, aux mesures de rétorsion occidentales qui visent en général le projet FIDESZ).
Sans pour autant déboucher – pour l’instant – sur des résultats spectaculaires, cette politique s’avère (comme le relève, dans le cadre d’une analyse brillante, le politologue transylvain Miklós Bakk) d’emblée bien plus efficace que l’ancienne (qui consistait pour une bonne part, en Roumanie notamment, à couvrir d’une belle rhétorique européenne la réalité de la cooptation de fait – par intimidation et pots-de-vin –des élites hongroises locales par l’État profond du nouvel État post-Trianon) : en 2017, fait inédit depuis la fin du communisme, un leader roumain (Liviu Dragnea, dirigeant de facto la coalition au pouvoir à Bucarest) annonce officiellement l’établissement de « rapports cordiaux » avec son homologue hongrois dans le cadre de discussions téléphoniques informelles portant sur la situation de la minorité hongroise de Roumanie, et lui promet son appui dans la résolution de problèmes concrets de ladite minorité (notamment celui du fameux lycée catholique de Marosvásárhely / Târgu-Mureș).
Mais, comme on pouvait s’y attendre, les ennemis de la Hongrie de Viktor Orbán (y compris ses ennemis internes au sein des minorités hongroises, comme le transylvain Levente Salat, ancien directeur de la branche roumaine de l’Open Society Foundation) ont très vite compris quel potentiel de création de discorde leur ouvrait ce virage stratégique – et plus exactement : le télescopage chronologique des deux « politiques carpatiques » successives du FIDESZ. Bien que l’irrédentisme violent reste – comme c’est le cas depuis au moins 1945 – une option totalement absente de l’agenda réel de tous les partis officiels de Hongrie, à partir du moment où, par exemple, la plupart des magyarophones de la région sicule en Transylvanie sont équipés d’un passeport hongrois (ce qui est actuellement le cas), il devient plus difficile de faire admettre à l’opinion roumaine qu’un projet d’autonomie territoriale sicule ne déboucherait pas sur une annexion de facto de la Siculie à la Hongrie. Même si de telles perspectives relèvent encore largement de la fantasmagorie, en Roumanie comme ailleurs, de nombreux esprits sont, à divers degrés, sensibles au paradoxe apparent que présente une Hongrie qui, à Bruxelles, se présente comme un État territorial soucieux de se défendre (de flux migratoires indésirables, d’ingérences politiques extérieures, etc.), mais agit dans la région en tant qu’État ethnique trans-territorial créant des enclaves civiques sur le territoire de ses voisins. Sensibilité exacerbée, dans le cas de la Roumanie, par déjà plusieurs années d’une campagne magyarophobe brutale de l’ensemble des médias et secteurs politiques d’obédience occidentale, « droite » et « gauche » confondues, que nous avons déjà évoquée par le passé (notamment ici, ici et ici).
En réalité, cette contradiction est parfaitement dépassable, car, face au projet de mise au pas néocoloniale et de nivellement culturel de l’Occident, ces petits peuples de l’Europe médiane postsocialiste jadis opposés par l’histoire ont désormais suffisamment d’intérêts politico-économiques communs pour se constituer en bloc organique : la gestion collective (« syndicale ») de leur statut de sous-traitant industriel de l’Allemagne, et le refus du brassage de populations intercontinental, et plus généralement de la « société ouverte » de marque Soros – pour ne citer que les plus évidentes. Or cette synthèse salvatrice n’est autre que le projet Visegrád lui-même, qu’on peut décliner sur plusieurs plans d’analyse :
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En termes de philosophie politique, il ouvre potentiellement la voie vers un dépassement du face-à-face désormais stérile du statu quo westphalien inspiré de Bodin et du cosmopolitisme libéral inspiré de Kant, en proposant à la mosaïque ethnique de l’Europe médiane un projet fondé sur les valeurs que l’Union bruxelloise a toujours proclamées, mais en se gardant toujours soigneusement de les appliquer : régionalisme, subsidiarité et respect des différences culturelles.
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En termes d’organisation de l’espace, l’intégration régionale annule aussi la contradiction apparente entre enracinement des minorités et mobilité interne régionale : la question n’est alors plus de savoir si la Hongrie veut « constituer des enclaves ethniques » ou « drainer sur son territoire » des populations magyarophones ; en réalité, il existe déjà des hongrois originaires de Hongrie (retraités, professionnels indépendants, agriculteurs de première génération etc.) qui s’installent en Transylvanie à la recherche d’une meilleure qualité de vie ou d’opportunités d’investissement, et des hongrois transylvains qui se réinstallent dans leur terroir au terme d’une carrière fructueuse en Hongrie, tandis qu’une partie de l’émigration économique roumaine s’est d’ores et déjà détournée de l’Europe occidentale saturée et réorientée vers les bassins d’emplois plus faiblement rémunérateurs, mais géographiquement et culturellement proches de Hongrie, de République tchèque et de Pologne. L’intensification des échanges commerciaux internes à la région (notamment entre Hongrie et Roumanie) pointe d’ailleurs dans la même direction.
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En termes psychologiques, il offre à la Hongrie l’instrument permettant de neutraliser certaines des phobies historiques les plus prégnantes de ses voisins héritiers de Trianon, et notamment, dans le cas de la Roumanie (politiquement paralysée à l’interne par un conflit entre ses institutions démocratiques et un État profond sous influence occidentale), la peur panique de se retrouver diplomatiquement isolée face à une Hongrie ascendante et entourée d’alliés sûrs. La multilatéralisation du problème, invitant à la table de toute négociation régionale d’autres États affectés de contentieux historiques comparables avec la Hongrie (comme la Slovaquie), fournit une garantie crédible dans ce sens.
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Sur le plan de la politique la plus concrète (naturellement dominée par des rivalités de clans et des intérêts économiques connexes), combiné à l’ouverture à l’Est (c’est-à-dire, d’un point de vue économique, avant tout à la Chine), il donne aux élites des pays du voisinage méridional de la Hongrie l’espoir de se voir associer à des projets (notamment d’infrastructure) susceptibles de tenir les promesses de développement initialement formulées par l’Union européenne (mais pour la plupart jamais tenues par cette dernière), faisant donc miroiter une « monnaie d’échange » électorale leur permettant de perpétuer leur pouvoir.
Naturellement, la mise en œuvre de cette synthèse nécessaire à la survie de Visegrád comme à celle du projet de Nouvelle Hongrie se heurte à bien des obstacles ; pour ne citer que les plus périlleux :
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Les campagnes de sabotage préméditées d’un Occident certes divisé actuellement à l’échelle mondiale, mais qui, à Berlin comme à Washington, estime de toute façon avoir déjà bien trop de concurrents mondiaux pour se permettre le luxe de laisser émerger un nouveau pôle de pouvoir entre lui et la Russie – à quoi il faut hélas aussi ajouter l’attitude de passivité plus ou moins hostile de la Russie, où certains cercles de pouvoir, prisonniers d’inerties historiques, continuent à préférer l’option consistant à négocier « directement » avec l’Allemagne, « par-dessus la tête » de l’Europe médiane.
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L’inertie historico-psychologique des nationalismes héritiers de Trianon, porteuse de peurs latentes qui ne demandent qu’à se réveiller sous l’effet des campagnes de sabotage susmentionnées.
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Enfin, paradoxalement, un obstacle non-négligeable provient de l’état de l’esprit des minorités hongroises elles-mêmes, dont les élites, après des décennies de confort matériel et moral à moindre prix (assuré par une position de gatekeeper entre les pouvoirs centraux de Bucarest, Bratislava etc. et la masse minoritaire, doublée idéologiquement d’un rôle de victime éternelle chérie par la « société civile » sur fonds occidentaux), s’adaptent difficilement au nouveau contexte : d’une part, parce que les réalisations concrètes de la nouvelle politique multilatérale mettent facilement en lumière l’inefficacité de leur propre gestion des trente dernières années ; d’autre part, parce qu’elles se résignent difficilement à leur nouveau statut d’épouvantail « irrédentiste » et « illibéral » dans le discours de cette même société civile qui, il y a encore trois ou quatre ans, aimait tant les « défendre » (verbalement) et les coopter (avec sinécures bien payées à la clé).
À supposer même que ces trois facteurs soient d’importance égale, il est bien évident que la Hongrie de Viktor Orbán ne dispose d’une influence directe (notamment par le biais de financements) que sur le troisième (lequel, à son tour, peu notablement influencer le second), et qu’elle n’aura gain de cause qu’à condition d’exploiter au plus vite et au mieux cette influence. Encore faut-il le vouloir – ce qui nous ramène à une autre faiblesse potentielle du projet hongrois actuel : l’incapacité ou la réticence d’une partie des élites FIDESZ à prendre acte idéologiquement du virage stratégique opéré de facto au cours de la décennie écoulée, en répudiant les mantras dépassés du « premier FIDESZ » (soit, en résumé : libéralisme, occidentalisme, chauvinisme, anticommunisme primaire), que beaucoup ont d’ores et déjà su mettre en sourdine à Budapest, mais que les élites hongroises des pays voisins, du haut de leur statut de victimes inattaquables, pensent pouvoir perpétuer indéfiniment, éventuellement même au détriment de leurs intérêts nationaux et régionaux bien compris.