Alors que d’âpres négociations sont en cours pour former le prochain gouvernement suite aux élections du 15 octobre 2023 qui se sont soldées par aucune majorité absolue pour un parti à la Diète de Pologne, Olivier Bault analyse les résultats et la cause de la défaite (relative) du PiS.
Pologne – Une défaite qui est plutôt victoire à la Pyrrhus. Avec 35,38 % des voix pour les élections à la Diète et 34,81 % des voix pour celles du Sénat, le parti Droit et Justice (PiS) et ses alliés de la coalition Droite Unie, tous regroupés sur les listes du PiS, est arrivé en tête après huit années au pouvoir.
Huit années d’attaques incessantes des médias libéraux et de gauche, nombreux et influents en Pologne contrairement à ce que voudraient faire croire certains médias et dirigeants politiques d’Europe occidentale, et huit années de procédures et chantages financiers incessants de la part des institutions bruxelloises. On notera notamment que la Pologne, tout comme la Hongrie, n’a toujours pas touché un centime des fonds du fameux plan de récupération Next Generation UE dans le cadre duquel des pays plus riches, comme l’Italie et l’Espagne, mais aussi la France, ont déjà perçu des milliards d’euros (que la Pologne et la Hongrie sont malgré tout censées rembourser solidairement !).
Analyse des résultats des élections du 15 octobre 2023
La Coalition civique (KO), menée par la Plateforme civique (PO) de l’ancien premier ministre et ancien président du Conseil européen Donald Tusk, n’est arrivée que deuxième avec 30,70 % des voix pour l’élection des députés et 28,91 % des voix pour celle des sénateurs. Outre la PO, elle réunit le parti libéral-libertaire Moderne et les Verts.
Tout ceci dans un contexte de participation record, à plus de 74 % des électeurs, ce qui n’était jamais arrivé pour des élections législatives en Pologne depuis la chute du communisme.
Si l’on parle aujourd’hui, à juste titre, de défaite du PiS, c’est parce que c’est bien l’opposition qui est aujourd’hui en situation de former une coalition de gouvernement. Le grand gagnant de ces élections, c’est en réalité Troisième voie, une coalition électorale formée par le parti Pologne 2050 de Szymon Hołownia, ancien présentateur de télévision qui présente une ligne que l’on pourrait qualifier de « catholique progressiste » sous un léger vernis conservateur, et le parti agraire PSL qui se présente comme conservateur et chrétien-démocrate. Alors que depuis des mois les commentateurs se demandaient si Troisième Voie dépasserait le seuil minimum des 8% que doit obtenir une coalition électorale pour avoir des députés, cette coalition a obtenu 14,40 % des voix pour la Diète et 11,50 % des voix pour les sénatoriales.
Le troisième membre de la coalition annoncée (même si le PiS semble encore campé sur ses espoirs peu réalistes de débaucher des députés du PSL afin de former une nouvelle de coalition de gouvernement avec eux), c’est la Nouvelle Gauche, une coalition de partis de gauche menée par le parti social-démocrate SLD qui est l’héritier de l’ancien parti communiste aujourd’hui reconverti aux idéologies néo-marxistes à la sauce LGBT de ses jeunes alliés. La coalition Nouvelle Gauche se présentait en tant que parti et pas en tant que coalition électorale, ce qui lui permettait d’avoir des députés à partir de 5 % des voix au lieu de 8%. Elle en a finalement obtenu 8,61 %.
En 2015, le résultat de la coalition menée par le SLD légèrement en dessous du seuil des 8 % avait été une raison majeure de la victoire du PiS. Comme cette année, on savait alors que le PiS arriverait en tête, mais personne ne pouvait exclure une coalition des libéraux et de la gauche contre le parti de Kaczyński. Le système électoral polonais pour les élections à la Diète, qui est un système à la proportionnelle par listes dans des circonscriptions, avec une redistribution des voix des partis n’ayant pas atteint le seuil minimal qui avantage fortement le vainqueur, avait permis au PiS d’obtenir une majorité absolue à la Diète (ce qui n’était jamais arrivé à aucun parti depuis la transition démocratique de 1989-90) avec seulement 37,58 % des voix.
Cette fois-ci, le PiS comptait sur un résultat de Troisième Voie en deçà du seuil des 8% pour reproduire la situation de 2015 ou en tout cas s’approcher de la barre de la majorité absolue (qui est de 231 députés sur les 460 que compte la Diète).
Le Sénat polonais est quand à lui élu par scrutin majoritaire uninominal à un tour. Aux élections de 2019, l’opposition libérale, centriste et de gauche avait présenté un candidat commun dans chaque circonscription, ce qui lui avait déjà permis de reprendre le contrôle de la chambre haute du parlement polonais, sachant que, comme en France, c’est la chambre basse qui a le dernier mot en cas de désaccord. Et contrairement à la France, il n’y a qu’une seul navette parlementaire. Les trois coalitions d’opposition ont répété l’opération cette année et renforcent ainsi leur contrôle du Sénat.
On notera au passage que si la Pologne avait adopté un système électoral mixte comme en Hongrie (avec une partie des députés élus au scrutin uninominal à un tour et une partie à la proportionnelle), il est probable que le PiS conserverait aujourd’hui le pouvoir, mais son leader Jarosław Kaczyński a toujours refusé d’abandonner la proportionnelle (ce qui cadre mal, soit dit en passant, avec l’étiquette de dirigeant autoritaire dont l’affublent les médias d’Europe occidentale).
Notons aussi que, du fait de la forte mobilisation des électeurs pour les élections du 15 octobre de cette année, avec ses 35,38 %, le PiS a obtenu 7 640 854 voix pour les élections à la Diète contre 8 051 935 (43,59 %) en 2019 et 5 711 687 millions (37,58 %) en 2015.
Par rapport à 2019, le PiS passe de 235 à 194 députés. Son seul allié potentiel (même si des deux côtés on a toujours nié publiquement une telle possibilité), Confédération, qui est une alliance de nationalistes et de libertariens, passe de 11 à 18 sièges grâce aux 7,16 % des voix obtenus. C’est nettement moins que ne prédisaient les sondages qui plaçaient la Confédération aux alentours de 10 % et même au-dessus de 15 % en septembre. Les attaques du PiS contre la Confédération se sont multipliées dans la dernière ligne droite de la campagne, avec notamment la télévision publique qui a été utilisée pour dévoiler des enregistrements visant à compromettre ce groupement. Le PiS a ainsi activement contribué à se priver de tout allié potentiel dans la nouvelle Diète en poussant une partie des électeurs de Confédération vers l’abstention ou vers Troisième Voie.
Chose intéressante, le parti Pologne souveraine du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, qui représente l’aile droite de la coalition Droite unie au gouvernement depuis 2015, avec des positions plus conservatrices et plus souverainistes que le PiS, maintient son nombre de députés à 18. Les électeurs polonais votent en effet pour la liste de leur choix en cochant le nom de leur candidat préféré sur cette liste. Quand dans une circonscription électorale donnée on calcule le nombre de sièges obtenus par chaque liste, ces sièges sont ensuite distribués en fonction du nombre de voix obtenues par chaque candidat présent sur cette liste.
Face à ces deux groupes de droite, la Coalition civique aura désormais 157 députés contre 65 pour Troisième Voie et 26 pour la Nouvelle Gauche. Au total, ces trois coalitions de partis qui avaient annoncé pendant la campagne leur volonté de gouverner ensemble auront donc 248 députés, soit 17 de plus que le seuil de la majorité absolue.
Au Sénat, le PiS (et donc en fait la coalition Droite unie réunissant le PiS et ses deux partis alliés) n’aura plus que 34 sièges sur 100 au lieu des 48 obtenus en 2015. La Confédération, du fait de son manque d’allié et du système uninominal à un tour dans chaque circonscription, n’a à nouveau pas de sénateur. À la suite des accords pré-électoraux concernant les candidats communs présentés par les partis d’opposition, la Coalition civique aura 41 sénateurs, Troisième Voie en aura 11 et la Nouvelle Gauche en aura 9, avec quelques autres sénateurs non affiliés à un parti mais soutenus par la coalition d’opposition.
Chose importante, la coalition annoncée par les trois coalitions de partis d’opposition n’a pas la majorité des trois cinquièmes nécessaire pour renverser le veto présidentiel. Or le président Andrzej Duda, qui provient du PiS, s’est vu reconduit à sa fonction présidentielle par les électeurs en 2020, avec un mandat courant jusqu’en 2025. Jusqu’en 2025, il peut donc bloquer n’importe quelle loi votée par le parlement s’il a le soutien du groupe PiS à la Diète. Même avec les députés de Confédération, l’opposition n’atteindra pas le seuil qui permettrait de renverser ce veto.
Chose inquiétante en revanche pour la démocratie et l’État de droit en Pologne (cette fois pour de vrai), Donald Tusk et ses amis de la Plateforme civique ont promis à leurs électeurs qu’ils ne se gêneraient pas pour invalider les lois votées depuis 2015 et mettre à pied les juges nommés après les réformes votées par le parlement en 2017 sans passer par le vote de lois au parlement. Ceci afin de priver, de manière totalement contraire à la constitution, le président de la République de la possibilité de s’opposer aux décisions de la nouvelle majorité. De la même manière, des membres de la nouvelle majorité affirment qu’ils comptent invalider plusieurs jugements du Tribunal constitutionnel, et notamment le jugement de 2020 qui a interdit les avortements eugéniques. L’on peut craindre que venant du « Camp du Bien », cela ne suscitera pas de réactions à Bruxelles, Berlin ou Paris.
Pourquoi la défaite ?
Quant aux raisons qui ont conduit à la défaite de la Droite unie menée par Droit et Justice, outre celles déjà évoquées plus haut (le très bon résultat de Troisième Voie et le très mauvais résultat de Confédération), il y a aussi l’usure du pouvoir, avec des politiques qui ont fait de nombreux mécontents depuis 2019 alors que la direction du PiS semblait être devenue excessivement arrogante et coupée des électeurs (comme la Plateforme civique avant 2015), des tentatives de projets de loi ou des lois très mal ficelées (le projet capoté de loi de protection animale, qui était censé amener au PiS des électeurs de gauche et n’a fait que lui aliéner l’électorat rural, crucial pour lui, la réforme bâclée de la fiscalité…) ainsi que le scandale des visas qui a fait prendre conscience aux Polonais d’une certaine hypocrisie du PiS, prétendant s’opposer à l’immigration extra-européenne alors qu’aucun gouvernement polonais n’avait jamais fait venir autant de travailleurs extra-européens que le gouvernement Morawiecki.
Une autre erreur commise par le PiS, c’est d’avoir transformé la télévision publique en canal de propagande du gouvernement, faisant fuir les téléspectateurs n’appartenant pas à leur électorat dur vers d’autres chaînes qui sont au contraire très hostiles au PiS (les chaînes du groupe TVN) ou, sans être ouvertement hostiles, ont une ligne éditoriale plutôt libérale-libertaire plus proche de l’opposition (groupe Polsat). Ainsi, le discours conservateur de droite n’atteignait plus l’électorat du centre, qui a toujours été celui qui fait gagner les élections en Pologne (et qui est plus conservateur que son équivalent français). Les attaques très dures contre l’opposition et en particulier Donald Tusk, dépeint comme un traître au service de la Russie et de l’Allemagne, ont probablement contribué à mobiliser l’électorat libéral et de gauche, d’où la très forte participation, en particulier dans les grandes villes où le PiS est généralement minoritaire (alors que l’électorat rural, traditionnellement plus favorable au PiS, s’est moins mobilisé). Précisons que dans ce registre-là, Donald Tusk n’a jamais été en reste, mais la poursuite de la stratégie de polarisation de la société polonaise menée par le PiS et la Plateforme civique semble avoir cette fois bénéficié aux adversaires du PiS. C’est la même erreur qu’avait commis la Plateforme civique en 2015, quand cette politique de polarisation menée par le pouvoir avait au contraire bénéficié au PiS.
En outre, les dirigeants du PiS, contrairement à ceux de son allié Pologne souveraine et contrairement aux dirigeants hongrois, ne semblent avoir jamais compris la nécessité de mener la guerre culturelle déclarée par la gauche et ont beaucoup misé, avec la promotion de l’ancien banquier Mateusz Morawiecki, sur l’enrichissement économique et le développement de l’État-providence pour fidéliser l’électorat, comme avait cherché à le faire la Plateforme civique avant 2015. Le discours sécuritaire sur le renforcement sans précédent des capacités de défense a quant à lui pris un coup dur avec la démission du chef d’état major et de plusieurs hauts gradés quelques jours seulement avant les élections.
Sur la question de l’avortement, en dépit des promesses formulées au moment des manifestations contre le jugement de 2020 interdisant les avortements eugéniques, le gouvernement Morawiecki n’a rien fait pour faire comprendre cette décision à la société polonaise et promouvoir le recours aux centres de soins palliatifs périnataux et néonataux comme alternative à l’avortement quand une femme est enceinte d’un enfant touché par une anomalie ou une maladie létale incurable. Ces cas représentent fort heureusement une petite minorité des avortements concernés par le jugement de 2020 (dans la plupart des cas, ce jugement concerne des enfants atteints de trisomie 21 ou d’autres syndromes qui ne sont pas incompatibles avec la vie), mais ils existent et ce sont justement les cas mis en avant par les associations pro-avortements (qui ne disent jamais rien sur l’élimination des enfants touchés par la trisomie 21). Les déclarations de Kaczyński sur le fait qu’il n’était de toute façon pas compliqué pour une Polonaise d’aller se faire avorter à l’étranger (ce qui est illégal, mais jamais poursuivi) n’a fait que renforcer le sentiment d’hypocrisie sans nom du PiS et a sans doute contribué à démotiver l’électorat pro-vie de droite, principalement catholique, qui est conséquent en Pologne.
Et enfin, ce qui a pu démotiver l’électorat de droite par rapport à celui de gauche, ce sont toutes les concessions du premier ministre Mateusz Morawiecki à Bruxelles, en contradiction avec le discours souverainiste du gouvernement et de Jarosław Kaczyński. La réalité, c’est qu’avec la signature de Morawiecki notamment sous le mécanisme de conditionnalité et le paquet climatique de l’UE, aucun gouvernement polonais n’avait cédé autant de souveraineté à Bruxelles depuis l’adhésion au bloc européen en 2004.
Il ne semble pas que les questions de la politique d’aide à l’Ukraine et des restrictions pendant la séquence Covid ait joué un rôle majeur dans la défaite du PiS, étant donné que l’opposition sur sa gauche a toujours été à peu près sur la même ligne. Tout au plus les politiques et déclarations sur les restrictions des libertés civiques pendant le Covid, en grande partie jamais réalisées en raison des blocages de l’aile droite du groupe PiS à la Diète (et notamment, mais pas seulement, des députés de Pologne souveraine), ont-elles pu démotiver une partie de l’électorat de droite le plus attaché aux libertés. D’autant plus que le conseil de l’ordre des médecins continue, encore aujourd’hui, de harceler les médecins qui ont osé protester contre la politique de santé et les pressions pour se faire vacciner (seuls la moitié environ des Polonais ont cédé), ce qui continue de ternir l’image de parti conservateur attaché aux libertés individuelles du PiS, le rapprochant de la gauche aux yeux de son électorat naturel.
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A lire aussi, pour comprendre la situation politique en Pologne et comment ce pays a basculé en 2015 dans le « Camp du Mal », ce rapport de 120 pages rédigé fin 2018 par l’auteur du présent article pour le groupe Europe des Nations et des Libertés du Parlement européen :
Comprendre la situation politique en Pologne – Olivier Bault – décembre 2018